Alléger les structures, réduire les émissions, préserver les ressources : la fibre de carbone s’impose comme un matériau stratégique dans les secteurs les plus exigeants – aéronautique, sport, mobilité. Pourtant, une fois en fin de vie, ce matériau composite finit encore trop souvent à la benne. Un non-sens écologique, technique et économique, auquel entend bien remédier la jeune entreprise Nova Carbon issue de la recherche publique. Sa technologie innovante de recyclage de la fibre de carbone, développée dans un laboratoire CNRS, est aujourd’hui en phase de pré-industrialisation.
L’histoire débute en 2009 avec RECCO, un projet collaboratif réunissant des partenaires académiques (laboratoire ICMCB), industriels et l’ADEME. Treize années de recherches portées par les chercheurs Olivier Mantaux et Arnaud Gillet de l’Institut de mécanique et d’ingénierie (I2M – Université de Bordeaux, CNRS, Bordeaux INP, ENSAM). L’objectif : mettre au point un procédé de recyclage à forte valeur ajoutée pour les composites carbones, jusqu’ici considérés comme difficilement valorisables.
En 2015, place à un accompagnement de la SATT Aquitaine dans le cadre du programme de maturation DEFI-CARBONE. Dès 2019, l’intégration au consortium européen MANIFICA s’opère en rassemblant plusieurs acteurs clés de l’I2M, les industriels TORAY CFE, leader sur le marché européen de la fibre de carbone, Paprec Group, leader français de la gestion des déchets ainsi que VESO Concept, expert en composites innovants.
Le procédé est breveté par le CNRS, puis transféré sous licence à la jeune société Nova Carbon en 2023. Contrairement à d’autres chercheurs qui choisissent de cofonder la start-up, Olivier Mantaux, le porteur scientifique du projet, a préféré rester uniquement du côté de la recherche. « Il a fait le choix, respectable, de ne pas entrer dans l’aventure entrepreneuriale. Ce n’est pas le même métier. Monter une boîte, c’est un changement de rythme, de logique, d’environnement », explique Hugo Cartron, cofondateur et CEO de la start-up basée à Mérignac (Gironde), en compagnie de Vincent Gamboa, COO de la société. En revanche, Alexandre Faure et Constance Amaré, deux ingénieurs, respectivement textiles et composites, qui avaient été recrutés dans un premier temps dans le cadre du projet MANIFICA ont quant à eux décidé de rejoindre l’aventure Nova Carbon en tant que premiers employés : « C’est un véritable transfert de savoir-faire et de connaissances, en plus des brevets et de la machine prototype », se félicite le CEO.
La technologie repose sur un concept ingénieux : réorienter les fibres de carbone désorganisées lors du processus de démantèlement afin de leur redonner une structure exploitable. « On se retrouvait avec des matériaux de haute performance qui, une fois endommagés ou mis au rebut, étaient tout simplement incinérés ou enfouis. Il y avait une absurdité à ne rien faire de cette matière, souligne Hugo Cartron. Il s’agit de fibres techniques, extrêmement fines, qu’on va réaligner avant de les retisser. »
« Le CNRS a joué un rôle essentiel, à la fois dans la naissance de l’innovation, sa protection, et son transfert. Sans ça, rien n’aurait été possible, insiste Hugo Cartron. Cependant, on aurait tous à y gagner si les transferts de technologie étaient simplifiés, quand un projet n’est pas transféré, ce sont parfois dix années de recherche qui se retrouvent au placard. »
On se retrouvait avec des matériaux de haute performance qui, une fois endommagés ou mis au rebut, étaient tout simplement incinérés ou enfouis. Il y avait une absurdité à ne rien faire de cette matière. ’’
Hugo Cartron, cofondateur et CEO de Nova Carbon
La fibre de carbone vierge est coûteuse à produire et sa fabrication est énergivore : on estime qu’une tonne de fibre neuve génère en moyenne 40 tonnes de CO₂. La solution mise au point permet de réduire drastiquement cette empreinte : « Notre Nova Carbon issu de fibres sèches sans résine produit seulement 500 kg de CO₂ par tonne. Si on le fabrique par exemple à partir de pièces de vélo en fin de vie qu’il faut dépolymériser, on produit 5 tonnes de CO₂. C’est plus vertueux que pour une tonne d’aluminium (7 tonnes), pour obtenir un matériau avec de meilleures performances mécaniques », explique le CEO, ancien ingénieur passé par Dassault, ArianeGroup et Safran.
Reste à structurer une véritable filière d’approvisionnement. Aujourd’hui, les déchets contenant de la fibre de carbone — chutes de production, pièces hors service, rebuts de fabrication — sont rarement récupérés. L’entreprise travaille donc à constituer un réseau d’approvisionnement, tout en sensibilisant les acteurs aux enjeux de circularité. L’autre défi, c’est le marché. « C’est un nouveau matériau. Il faut convaincre des industriels d’intégrer une solution qui n’existait pas hier, détaille Hugo Cartron. Mais nous avons déjà plusieurs partenaires comme Epsilon et nous testons tous les secteurs d’activité, notamment celui du nautisme qui semble très réceptif. »
© Nova Carbon
Plutôt que de se limiter à la fabrication et la vente de machines de recyclage, la start-up a fait un choix fort : produire elle-même ces machines et ces matériaux recyclés, maîtrisant ainsi toute la chaîne de valeur : « On voulait que la qualité soit irréprochable, que les performances soient au rendez-vous, et pouvoir ajuster notre procédé à chaque application. Pour ça, il fallait qu’on garde la main sur la production. »
Ce positionnement nécessite des investissements importants. Plusieurs levées de fonds pour un total de 3,7 millions d’euros ont permis de lancer la pré-industrialisation. Une nouvelle étape de financement est en préparation pour accroître les capacités de production : « Nous avons dix ans d’avance sur la concurrence internationale, se félicite le cofondateur. De la concurrence existe aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et dans le reste de l’Europe aussi, mais n’est pas encore à notre niveau. »
C’est aussi une question de souveraineté industrielle puisque sur les 30 000 tonnes de fibre de carbone utilisées en France chaque année, seulement un tiers provient de l’Hexagone, le reste venant des États-Unis et d’Asie. Une problématique que Nova Carbon tentera de résoudre en fabriquant plusieurs dizaines de tonnes par an dès l’année prochaine et plusieurs milliers à l’horizon 2030. Avec un objectif symbolique pour 2028 : « Nous voulons équiper un ou plusieurs bateaux du Vendée Globe de pièces en Nova Carbon », imagine Hugo Cartron. Peut-être la meilleure manière de démontrer les qualités de ce matériau vertueux.
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